Dans Le Tatoué (1968), on assiste à une comédie à la française qui met en scène deux monstres sacrés : Louis de Funès et Jean Gabin. Et quel duo improbable ! L'un est un marchand d'art au caractère bouillant, l'autre un aristocrate excentrique et un tantinet grincheux. Ces deux hommes vont s’engager dans un duel verbal et physique où tous les coups sont permis. De Funès, dans le rôle de l'antiquaire Mézeray, découvre que le comte Legrain (Gabin) arbore un tatouage unique en son genre, dessiné par nul autre que Modigliani ! Cette œuvre potentiellement inestimable va déclencher une chasse au trésor – ou, plutôt, une chasse à l’homme tatoué.
L'histoire de Le Tatoué est assez simple : après avoir découvert le fameux tatouage, Félicien Mézeray, le marchand d'art opportuniste, cherche par tous les moyens à convaincre Legrain de lui vendre… sa peau ! Cette quête va les mener dans des situations absurdes, des querelles sans fin, et un comique de situation où chaque réplique est un joyau. Leur dynamique est au cœur du film et ne manque pas d'humour : on passe du rire aux éclats, de l'étonnement à l’admiration devant ces deux figures du cinéma français.
Jean Gabin incarne ici le Comte Legrain, un aristocrate bourru qui semble s'être fait tatouer presque par accident, ou par amusement lors d'une soirée trop arrosée. Son personnage est tout en flegme et en humour grinçant. À chaque réplique, on sent le mépris bienveillant du personnage envers son époque et ses contemporains, surtout envers Mézeray, l’homme d’affaires véreux joué par de Funès. On ne peut s’empêcher de sourire en voyant Gabin, visage impassible, répondre du tac au tac aux gesticulations exubérantes de son acolyte.
Louis de Funès, fidèle à son style explosif, incarne un marchand d'art aussi cupide que passionné. Son personnage, Mézeray, est prêt à tout pour obtenir ce fameux tatouage. Et de Funès, en maître de la comédie physique, nous offre une série de mimiques, de grimaces et d'expressions faciales inimitables. Chaque tentative de négociation vire à la comédie pure. Il pourrait vendre n’importe quoi, mais ici, c’est un peu plus compliqué : il doit en quelque sorte convaincre Legrain de… se séparer d’une partie de son anatomie !
Le Tatoué joue habilement sur le choc des personnalités et des valeurs : l’ancien monde, noble et un peu vieux jeu, face au monde des affaires, pragmatique et avide. Legrain, campé sur ses valeurs, refuse de céder son tatouage pour de l’argent, car pour lui, cela va à l’encontre de tout ce en quoi il croit. Cette opposition est un ressort comique intemporel et donne lieu à des échanges savoureux où chacun tente de convertir l'autre à sa vision du monde.
Le film regorge de scènes cultes et de répliques devenues légendaires dans le cinéma français. Quand Legrain et Mézeray se retrouvent coincés dans une situation absurde, ils s'affrontent verbalement dans des joutes d’anthologie. Leur scène dans le château familial, où Mézeray tente tant bien que mal de convaincre Legrain de le suivre à Paris, est un chef-d’œuvre de comédie. On a l’impression d’assister à une pièce de théâtre où les acteurs rivalisent de talent.
Certains diront que Le Tatoué n’est pas le meilleur film de De Funès ni de Gabin. Et c'est vrai, l’intrigue est un peu mince et certains passages traînent un peu en longueur. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel : le film repose sur l’alchimie improbable entre deux grands du cinéma français, chacun jouant avec les stéréotypes de son personnage. L’histoire n’est qu’un prétexte pour les voir s’affronter, s’allier, et se chamailler de façon savoureuse.
Le Tatoué est l’exemple parfait de la comédie à la française des années 60. On y trouve un humour de caractère, subtil, et des répliques pleines d’esprit. La mise en scène est classique, sans effets tape-à-l’œil, mais c’est précisément cette simplicité qui permet aux talents des acteurs de briller. Gabin et de Funès incarnent deux figures opposées mais complémentaires, et on ressent leur plaisir à jouer ensemble, même si, paraît-il, ils ne s’entendaient pas particulièrement bien en coulisses.
Si vous n’avez jamais vu Le Tatoué, vous passez à côté d’un moment de cinéma où l’on rit à gorge déployée sans se lasser. Certes, le film a vieilli, et il peut sembler un peu daté pour les spectateurs d’aujourd’hui, habitués à des comédies plus rythmées. Mais c’est justement cette lenteur qui lui donne son charme bucolique. Chaque réplique, chaque échange entre Gabin et de Funès, est un petit bijou qui vaut le détour. On retrouve dans ce film un esprit d’un autre temps, où l’on prend le temps d’apprécier chaque moment.
Les + : duo de légende, dialogues savoureux, humour intemporel.
Les - : rythme parfois lent, intrigue mince.